Savoir-faire du balcon du Jura

Sainte-Croix veut assurer l’avenir de son patrimoine séculaire

Le Conseil communal devra décider s’il soutient le futur Centre d’entrepreneuriat, d’innovation et de transmission de la mécanique d’art qui devrait ouvrir ses portes l’été prochain.

Des élèves de l’Écal se sont initiés à la mécanique d’art à Sainte-Croix. Le projet prévu dans l’ancien bâtiment HPI devrait favoriser de nouveaux échanges. JEAN-PAUL GUINNARD

Dans un contexte en pleine effervescence, les autorités politiques de Sainte-Croix entendent apporter un soutien financier au Centre d’entrepreneuriat, d’innovation et de transmission de la mécanique d’art (CREITMMA) qui devrait s’installer sur 350 m² au No 21 de la bien nommée rue de l’Industrie, en principe dès l’été prochain. La future structure manufacturière est l’un des premiers fruits concrets du projet I21, lancé en 2019, qui s’articule autour d’une collaboration entre Renens et la cité du balcon du Jura. Le Centre professionnel du Nord vaudois (CPNV) et l’École cantonale d’art de Lausanne pourront y développer de nouvelles synergies en matière de technologie, de mécanique de précision et de mécanique d’art. L’organe délibérant sainte-crix décidera le 14 décembre s’il y apporte son soutien ou non par le biais d’une couverture de déficit et d’une aide à fonds perdu de 125’000 francs sur cinq ans. Retour sur une aventure qui passionne.

Des locaux seront réaménagés au troisième étage de l’ancien bâtiment HPI, entre la gare et le Technopôle de Sainte-Croix. MOOTEE ARCHITECTURE & DESIGN SA

 

Le futur du fleuron local passe par son passé. Autant la tournure peut sembler relever de l’antinomie, autant elle synthétise parfaitement le projet en cours de développement à Sainte-Croix, qui prendra donc place dans un étage à réaffecter de l’ancien bâtiment d’Hermès Précisa International (HPI). La région n’a jamais caché sa fierté légitime face à son patrimoine artisanal et industriel – des premiers tourne-disques Thorens aux machines à écrire Paillard en passant par les automates et autres boîtes à musique – et attend du reste avec impatience la décision quant à l’inscription de ses «savoir-faire en mécanique horlogère et en mécanique d’art» au Patrimoine culturel et immatériel de l’Unesco.

Mais au-delà du rôle de conservation que la Commune a compris depuis longtemps, l’enjeu est énorme aussi autour de la transmission de ces compétences qui ne restent pas figées dans le temps, mais évoluent. Outre la renommée internationale de plusieurs de ces artisans, Sainte-Croix et sa région peuvent en effet s’appuyer sur son technopôle. Créé en 2008, il héberge aujourd’hui l’un des pôles les plus compétents du monde en matière d’impression 3D et d’acquisition d’images d’objets par des technologies de scannage des plus pointues.

«Il y a un indéniable regain d’intérêt pour les métiers d’art et la mécanique d’art.»
François Junod, automatier

«La mise en place du CREITMMA dans l’ancien bâtiment HPI doit permettre à la jeune génération de reprendre le lead sur l’avenir de ces compétences auxquelles nous tenons, souligne le syndic Cédric Roten. Ainsi on espère donner une réponse à la question: «Qu’adviendra-t-il de la mécanique d’art?» Concrètement, d’après les autorités, la concentration dans la région de telles disciplines représente un atout qui peut être valorisé entre autres auprès des marques horlogères. «Il y a un indéniable regain d’intérêt pour les métiers d’art et la mécanique d’art, même les grandes boîtes ne parlent plus que de ça», complète l’automatier François Junod.

L’artisan réputé et formateur est d’autant plus optimiste qu’il voit un nouveau marché s’ouvrir. «La Chine découvre ce domaine, comme le Japon l’avait fait dans les années 80.» Le CREITMMA, qui a aussi valeur de promotion économique, ne s’inscrit cependant pas que dans un but commercial. Il doit, en effet, permettre aux métiers d’art de continuer d’intégrer les nouvelles technologies ou encore de favoriser la transmission du savoir-faire et l’appui aux jeunes souhaitant lancer une activité entrepreneuriale en lien avec la mécanique.

Propice à l’interaction

Concepteur en mécanique d’art, Boris Masure, 28 ans, incarne à merveille cette nouvelle génération. «Le centre d’innovation nous offre un lieu propice à l’interaction, mais aussi un espace où animer des ateliers comme nous l’avons déjà fait à deux reprises entre l’Écal et la Formation en mécanique d’art.» Cocréateur de ce cursus, François Junod est enthousiaste: «On disposera enfin de locaux dédiés, qui nous éviteront de devoir «squatter» ceux du CPNV pendant les vacances d’été.»

La surface sera vaste. Son propriétaire proposera des loyers échelonnés afin de permettre le lancement du projet dans les meilleures conditions possibles. Géré par le CREITMMA, cet atelier de 350 m² sera également ouvert à la population et aux étudiants du Centre professionnel, qui pourront sur la base d’un système d’abonnement profiter de ces équipements modernes. Mais c’est en réalité tout cet étage de 3400 m² qui devrait profiter à la branche. «On imagine que des start-up émanant de l’incubateur du technopôle voisin pourront s’y installer et ainsi favoriser une émulation», conclut Cédric Roten.

Musée unique pour savoir-faire unique

Aujourd’hui sans doute plus qu’hier, la région de Sainte-Croix veut jouer la carte du patrimoine unique et séculaire qu’elle détient. Un savoir-faire qu’elle présente au public au travers de trois musées, le Musée Baud à L’Auberson, le Centre international de mécanique d’art (CIMA) et le Musée des arts et sciences (MAS), tous deux à Sainte-Croix. Bientôt leurs incroyables richesses feront toit commun. Dans les locaux du CIMA à transformer en conséquence pour que le volet conservation et préservation de la mécanique d’art regarde lui aussi vers l’avenir. Nom de code: Musée unique.

«Nous arrivons au terme de la deuxième des trois étapes de ce projet, souligne Robert Martin, président du comité de pilotage. À savoir que nous sommes à bout touchant pour obtenir le permis de construire.» Fin 2018, un premier pas primordial avait été franchi. La générosité de trois mécènes avait alors permis de racheter pour 2 millions de francs la collection Baud – 240 boîtes à musique et automates – et ainsi d’éviter à toute une région de revivre le traumatisme de 1995 quand les boîtes à musique, automates et autres oiseaux chanteurs de Guido et Jacqueline Reuge avaient pris un envol sans retour pour le Japon.

L’ensemble du projet est devisé à 9,86 millions de francs. Grâce à l’apport de 3,5 millions de la Loterie Romande au début de l’été, le budget est aujourd’hui couvert à 72,5%. «Des demandes sont en cours, y compris auprès du Canton, pour boucler ce financement au tout début de l’année prochaine et lancer les travaux dans la foulée», reprend Robert Martin. Dans un premier temps, la question devait être réglée fin 2020, mais les circonstances sanitaires actuelles en ont décidé autrement.

La transformation du CIMA ne devrait pas durer plus d’une année. C’est en tout cas le temps estimé pour doter chacune des trois collections – plus de 10’000 pièces au total, souvent uniques – de son propre étage. Le système proposé par le bureau LVPH Architectes à Pampigny – un dispositif d’étagères murales – doit permettre de montrer au mieux leur ampleur. «Pendant la période des travaux, le Musée Baud et le MAS continueront leur exploitation et assureront la vitrine de ce savoir-faire régional qui sera peut-être d’ici là entré au Patrimoine mondial de l’Unesco», conclut Robert Martin.

Frédéric Ravussin

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